Richard Laillier à la Chapelle Ste Anne
22 déc. 2015Voici l'article publié dans le dernier Miroir de l'Art sur le travail de Richard Laillier actuellement visible à La Chapelle Ste Anne à Tours (37), jusqu'au 31 décembre, et à la galerie Lanzenberg à Bruxelles.
De la nuit initiale – ce noir profond du pigment – il gratte chaque particule d’obscurité afin d’en extirper les secrets enfouis, gomme ici et là le voile fuligineux et révèle, à force de patience et d’obstination, des ombres tremblotantes, telles les lueurs de bougies effrayés par le moindre courant d’air, qui sur le papier frémissent d’une vie nouvelle – une sorte de résurrection. « Il gratte, recouvre, estompe les vagues géologiques du bas du tableau. Doux frottage. Recouvrement, effacement, ponçage. Il peigne le tableau comme une chevelure » écrit Pierre Antoine Villemaine. Il scrute la surface obscure à la recherche de ces vies oubliées dont personne n’a eu vent, ces vies perdues dans une nuit profonde comme une fosse commune.
Peut-être extirpe-t-il ainsi de la gangue opaque « Quelque chose de l’Enfer », pour reprendre le titre d’une pièce montée en 2007, avec Isabelle Horovitz et Pascal Fleury, une pièce pour deux danseurs d’après la Comedia et la Vita Nuova de Dante. Richard Laillier, providence des âmes égarées ? Oui, sans doute, comme nombre d’artistes qui, en créant, ravivent le souvenir de celles et ceux qui ne sont plus, de celles et ceux qui ne sont pas en mesure de se défendre, de donner de la voix, de crever le rideau couleur suie de l’injustice.
« Il a le sentiment d’avoir perdu une chose inconnue. Il est à la poursuite de cette perte, espère la confondre », pour citer encore Pierre Antoine Villemaine. Richard Laillier ne cède pas, et avec une rage rentrée, force le papier à lui rendre ce qui a été pris, à restituer les âmes enfouies. Ce faisant, au cœur de son travail irradie une lumière venue d’un au-delà indistinct et inconnu. Lumière trouble, dont la présence même est une énigme. Lumière blafarde, presque surnaturelle, qui crève les ténèbres et vient glisser dans le regard du spectateur quelque lueur d’espérer. Lumière sourde, qui secoue la poussière d’une forme vague, nébuleuse, d’un spectre mouvant encore à moitié absorbé par les couches sombres…
Le monde est à un trou noir auquel l’artiste a réussi à arracher contre toute logique quelques précieuses parcelles de lumière…