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C’est le peintre du paysage. Le peintre des grands espaces désolés.

 

C’est bien simple, cette œuvre se savoure comme un bon vin. Avec lenteur et attention, tous les sens aiguisés.

Le paysage, ce thème si ardemment étudié par les artistes, notamment depuis la fin du XIXème siècle, est au centre de l’œuvre de Thierry Dalat. Mais il est traité ici avec un talent hors normes. peinture ne reproduit en rien une vision par trop réaliste du monde qui gravite autour de nous : le subtil assemblage de colle de peau, d’acrylique et de fusain chante une mélodie beaucoup plus subtile et envoûtante. Certes, le paysage apparaît nu ; un champ, des poteaux et des fils électriques sous un ciel immense ; un chemin qui s’égare le long d’une clôture et nous emmène vers quelque coin isolé ; un village de quelques maisons perdues dans le soir tombant ; une simple route et l’horizon qui barre le ciel comme un grand appel à vivre autre chose. Mais une sorte de torpeur baigne l’ensemble, une sorte d’hébétude, un peu comme si le monde avait soudain été déserté, que les quelques vestiges de la civilisation ne soient plus qu’anecdotes n’ayant d’autre intérêt que leur aspect plastique. On imagine un brusque exode de population, une désertification accélérée, un cataclysme va savoir, on imagine une heure où les hommes s’éloignent de la nature, pour ne la plus reconnaître. Pas âme qui vive au cœur de ces landes semblables en bien des points à la fameuse lande de Lessay, chère à Barbey d’Aurevilly.

Se dégage de ces paysages une espèce d’irréalité, et intrinsèquement de discrète projection de l’univers intérieur de l’artiste, univers plein d’interrogations. Si l’on tend l’oreille, on perçoit un chant venu des profondeurs qui trouble par sa justesse, par sa capacité à donner à voir de l’intérieur des lieux maintes fois aperçus au détour d’un carrefour et qui pourtant n’ont jamais évoqué à nos yeux que le spectacle banal d’une campagne désertée. Mais pas de volonté d’expliciter à outrance le propos chez le jeune peintre rouennais, pas de fanfaronnade ni d’exubérance. Juste la ferme volonté de dénuder le paysage comme on dénude les fils électriques, au risque d’y laisser sa peau. On atteint ici au sensible extrême, quelque chose de l’ordre de la substantifique moelle du monde réel.

A nos yeux trop habitués à absorber les images du quotidien comme autant d’aliments sans goût et sans saveurs, il faut apprendre ici à se figer un peu plus de temps que d’ordinaire. Il faut s’arrêter un moment et se laisser envahir par l’art de Thierry Dalat. Un peu comme lorsque l’on cherche à discerner dans le regard de l’être aimé quelque élément d’encouragement, quelque raison de ne pas désespérer du monde. Sans être totalement sûr qu’on en sortira indemne. Car si cette peinture suggère plus qu’elle ne dépeint, libre à vous de vous aventurer plus avant, de plonger dans ses méandres. Cette peinture, sous des dehors qui peuvent paraître classiques à l’œil peu exercé, appelle à une intense introspection, mine de rien, sans y toucher… Là est sans doute son grand mérite, et l’on comprend que malgré son jeune âge, ses trente-huit ans, l’artiste a visiblement su retenir les leçons de l’Histoire de l’Art, se familiariser avec les œuvres des grand anciens, au point de restituer une œuvre à tous égards « inspirée », c’est-à-dire porteuse d’un héritage tout autant que révélatrice d’un talent. C’est une œuvre du XXIe siècle, que l’on ne s’y trompe pas, une œuvre qui tisse de multiples et discrets liens entre le sujet représenté et celui qui représente, une œuvre au sein de laquelle l’artiste s’investit dans chaque touche, chaque détail, et dans le même temps c’est une œuvre intemporelle, une œuvre qui établit une indéniable connivence entre celui représente et celui qui regarde. Le genre de peinture qui irritera peut-être certaines élites dites contemporaines pour lesquelles la peinture de paysages ou de portraits n’a plus lieu d’être, mais une peinture qui rassemblera à coup sûr les « gens de goût », ceux qui savent lire entre les lignes et apprécier la finesse d’une telle création !

A voir à la galerie Claudine Legrand - Paris 6e

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