A visage découvert

 

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Mon travail est étroitement lié à ma vie ; dans le sens où il se nourrit des rencontres, des lectures, des films, du quotidien. Comme un journal intime.

La rencontre d’un modèle féminin qui accepte de poser pour moi. Une amie qui se trouve là en repos sur mon canapé. Là je vois la peinture que je vais réaliser. Et tous les éléments décoratifs autour... Coussins, tissu du canapé... La réalité allégée, enrobée, adoucie.

Puisque je fais des photos, mes modèles posent, se reposent, le temps de la photo. Et puis le tissu, et le support lui même (le drap) participent à ce moment de somnolence, naturellement. Un jour quelqu’un a dormi dans ce drap que j’utilise. Je peins la trace, les contours de ce corps qui s’est allongé là. En fait je peins des petits instants de la vie, le relâchement en ce moment, mais d’autres choses viendront... Je peins le moment où le modèle s’est donné a voir.

 

Qui ne porte en lui des êtres sans visage, des êtres dont on convoque en vain le souvenir, dont nous échappe à jamais les traits, et jusqu’au regard ? Dans ce cas précis, le temps se joue inexorablement de notre mémoire, efface toute trace physique, et l’on a beau s’escrimer à ressusciter l’expression du faciès, un sourire, un froncement de sourcils, rien ne vient hormis quelques détails anodins, surgis du néant pour mieux nous plonger dans l’hébétude – il portait un foulard rouge autour du cou, elle dansait dans une robe à fleurs, il avait le teint blême de ceux qui se couchent tard, elle avait de longs cheveux bouclés... N’arrive-t-il pas que nous fassions, à l’égal de Verlaine, ce rêve étrange et pénétrant d’une femme dont il ne nous reste en tête que la voix, et seulement la voix, malgré tous nos efforts, cette voix qui a singulièrement l’inflexion des voix chères qui se sont tues ? Son visage nous fuit et, tel le Marius de Pagnol se creusant la cervelle avec angoisse, en plein océan, à la recherche du visage de la femme aimée, de Fanny, nous remontons à la surface du souvenir les mains vides… Les yeux, la bouche, le nez ont disparus… Comme dans les tableaux de Juliette Lemontey.

Bien entendu, il arrive parfois que la mémoire retrouve ce qui advint et restitue vaille que vaille les bribes des instants les plus marquants de notre vie, telle rencontre, telle situation, et même tel regard, telle moue dédaigneuse, telles joues fraîches et glacées qu’on ne peut oublier. Mais à ce petit jeu du souvenir, on n’a pas la partie facile et il arrive plus souvent que de raison que le visage de ceux que l’on a croisés nous échappe pour toujours. L’artiste en a conscience qui peint la trace, les contours du corps qui a posé devant elle. Comme si elle anticipait le travail de mémoire. « Une peinture aussi comme un souvenir. Puisque mes personnages sont androgynes, souvent avec les cheveux noirs, le monde, les cultures différentes qui les entourent sont ces tissus qui les différencient, qui font ce qu’ils sont » affirme-t-elle. Et elle pose de fait la lancinante question de notre rapport aux autres. Du décorum aussi. Que sont pour nous ceux que l’on rencontre ? Qu’est-ce qui les différencie, justement ? Quel souvenir emportera-t-on par devers eux ? Que nous restera-t-il ? Un parfum. Un rire. Des silences. Un décor. Un vêtement. Juliette Lemontey garde la posture du corps, l’inclinaison de la tête, l’attitude, le look. C’est peu et c’est beaucoup à la fois, suffisant pour définir un souvenir. Et puis, derrière le rapport au temps, la volonté plastique. Une cohérence. Une tonalité. La peinture dans toute sa complexité, avec cette incroyable faculté de pouvoir transmettre les émotions, de permettre au souvenir de se frayer un chemin vers la lumière. La peinture comme un souvenir, quelque chose d’ineffable que les pigments sur la toile retrouvent et inventent à nouveau, et qui marque durablement.

 

Exposition visible à la galerie GNG (Paris 6e) jusqu'au 29 octobre 2011

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