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 Gilles Naudin, galeriste atypique, vu par Woytek Konarzewski

 

Gilles, raconte-moi ton parcours, disons, atypique. Tu es originaire de quelle région ?

 

Je suis né par hasard à Gien, dans le Loiret. Mais j’ai vécu à Paris dans le 14ème durant toute mon enfance. Mes grands-parents étaient derrière la mairie. Un endroit magnifique en rez-de-chaussée. Il y avait deux squares où j’allais jouer avec mon cousin. Ce sont mes grands-parents maternels qui m’ont élevé, mon grand-père était sculpteur, mon arrière-grand-père également. C’étaient des italiens, venus de Toscane.

 

Tu as donc du sang italien dans les veines.

 

Eh oui ! A Massa Carrare, il y a soit des coupeurs de marbre, soit des sculpteurs. Mon arrière-grand père est venu en France, il a travaillé et participé à des salons. D’ailleurs, il est dans le Bénézit. Mon grand-père a vécu également de sa sculpture. Il était praticien. Les artistes lui donnaient leur œuvre en plâtre et lui les réalisait en bronze. Après 1914 il y a eu tous les monuments au mort à édifier. J’ai encore deux petites sculptures de lui, qui représentent ma mère. J’avais une tante ; Jacqueline Barsotti qui a été modèle de Man Ray ; elle était très belle et Man Ray a fait des portraits superbes, que je retrouve parfois dans les expositions. Mon grand-père était un excellent dessinateur, et il me dessinait mes indiens favoris. Je ne sais pas si tout ça m’a donné le goût de l’Art, mais j’imagine que ça a dû jouer.

 

Tu étais un bon élève à l’école ?

 

Pas du tout ! Mais j’ai eu la chance d’avoir une famille compréhensive… Je m’ennuyais à l’école… Ils m’ont encouragé à travailler. A 14 ou 15 ans, je pouvais sortir de l’école et c’est ce que j’ai fait. Je suis rentré dans une société de mercerie en gros, du boulevard de Sébastopol. Autour de moi, il n’y avait que des adultes, avec tous leurs problèmes petits ou grands : de cœur, de pouvoir, etc., et ils m’ont fait sortir de l’insouciance. Après, j’ai eu une petite amie qui était la nièce de Mathilde Gabriel Péri (Gabriel Péri était un grand résistant fusillé au Mont Valérien) ; cette dame me recevait chez elle et elle m’a ouvert les yeux sur la littérature, la politique, le monde qui m’entourais ; je regardais, mais surtout, j’écoutais !

 

Et la chanson, alors ?

 

J’aimais la chanson française, notamment Gilbert Bécaud et Charles Aznavour. Je prenais des cours de chant. Et puis un jour, j’ai vu Ferré à Bobino, et je me suis dit « je veux faire comme lui » ! Ferré, il était magnifique alors ! Du coup, j’ai écrit, écrit, j’ai fait des maquettes de mes chansons, et un jour je suis allé les faire écouter chez RCA où nous étions nombreux à attendre dans le couloir !

 

Comment faisait-on des maquettes à l’époque ?

 

Tu sais, on bidouillait des sons, on travaillait dans des caves du 19ème arrondissement avec des musiciens de rencontre. Chez RCA, pas trop de succès pour ma première maquette, mais il y avait un directeur artistique, Jean-Louis Philibert, qui s’est intéressé à mes chansons. Je suis donc retourné le voir avec un autre projet d’album. Il a fini par me dire « on va essayer ». Je devais avoir 25 ans environ, j’ai donc signé chez RCA où j’ai enregistré 5 albums et quelques 45 tours. Le premier 33 tours s’appelait Courir. D’autres ont suivi, « Machine à décrire », « Les voyages du dedans »… dont un qui s’est vendu pas trop mal quand même : 15000 exemplaires. Parallèlement, avec des copains, nous avions monté un cabaret autogéré, vers la fin des années 60, c’est-à-dire 68. Il s’appelait « Le Pétrin », c’était une ancienne boulangerie de la rue Mouffetard.

 

Tu as fait de la scène aussi ?

 

Bien sûr. J’ai fait un peu de cabaret au début, mais avec les enregistrements j’ai pu tourner en France et à l’étranger. J’ai vécu de cette activité, pas toujours très bien, et de temps à autre, comme beaucoup de gens du spectacle, j’allais vendre des livres en porte à porte. Ce n’était pas facile, mais ça m’a beaucoup appris pour la suite. Pendant les tournées, j’allais voir les galeries, je me suis intéressé à la peinture et j’ai commencé à acheter quelques œuvres.

 

Fin de la chanson ?

 

Pas tout à fait, mais ce fut la fin de RCA, tout le monde a été viré. J’ai enregistré un nouveau disque chez Charles Taillard distribué par EMI. J’avais 45 ans à peu près à l’époque et puis le directeur artistique est décédé, et j’ai senti qu’il fallait que je passe à autre chose.

 

Début de ton aventure dans l’Art ?

 

Avant de devenir galeriste, j’ai monté avec un copain une société de production de disques et de spectacle. Je pensais continuer dans ce milieu que je connaissais plutôt pas mal.

 

Cela ne te manque pas la chanson, l’ivresse de la création ?

 

Non, pas du tout. La création, c’est terriblement difficile, et c’est pour cela que je me sens en phase avec les artistes.

 

Tu as continué dans l’écriture ?

 

Non, pour moi, un texte c’était une chanson mise en musique et interprétée. Quand j’ai arrêté, ça a été définitif.

 

Revenons donc à la suite de ton parcours…

 

La société que nous avions montée n’a pas pu continuer. Parallèlement, vers les années 92-93, j’avais monté une exposition avec quelques artistes. C’était la crise, déjà. Il y avait un espace rue Visconti qui était libre, mais la reprise du bail était trop élevé pour moi ; j’ai fait une proposition à l’agent immobilier, et banco, j’ai pu ouvrir ma galerie.

 

Tu as ouvert à quelle date ?

 

En 1994, je ne me rappelle pas la date avec précision…

 

Bientôt 20 ans ?

 

Oui, tu imagines ! 20 ans ! J’ai commencé avec des artistes finlandais, et puis, progressivement le chemin s’est ouvert, à raison d’une exposition par mois environ. D’autres artistes sont venus. Tel que Souvraz par exemple, ainsi que Taillandier aussi.

 

Les premières années ?

 

Dur, très dur, toujours à l’équilibre… Je me demandais si j’allais pouvoir payer le loyer…

 

Est-ce que ce nouveau métier te plait ?

 

Oui, j’aime cette indépendance. Je ne dépends de personne. Tu as raison, c’est toi, tu as tort, c’est toi. C’est la liberté, le bonheur. En tout cas plus que lorsque je faisais « le chanteur ».

 

A partir de quel moment est-ce que cela marche un peu mieux ?

 

Franchement, depuis cinq ou six ans, je suis plus confortable. Le résultat des foires, le temps qui passe, la reconnaissance qui se fait peu à peu.

 

Qu’est-ce qu’on y trouve dans ta galerie ? Quels choix ? Quel type d’art ?

 

Je fais ce qui m’intéresse, tout ce que j’aime. Je me moque complètement de l’idée prônée « avoir une ligne ». J’aime tellement de choses. Et quand j’aime, j’expose.

 

Tu es un éternel curieux.

 

Non, pas éternel, mais curieux, oui !

 

Des rencontres ?

 

Ferré, oui, que j’ai rencontré, qui m’avait dit c’est vraiment bien, continuez… Montand, qui voulait interpréter deux titres, et puis les artistes, forcément.

 

Des collectionneurs ?

 

Je rencontre des personnes (ils font partie des bons moments de cette profession) qui aiment et qui achètent de la peinture parce qu’elle leur procure des émotions. Au cours de ces années, seules deux ou trois ont dû me poser la question « combien cela vaudra plus tard ? ». Les gens viennent à la galerie, ne savent pas toujours qu’ils vont acheter une œuvre. Et c’est ce qui est magnifique. Les artistes que je présente, je les aime pour ce qu’ils font, mais aussi pour ce qu’ils sont. Ils font un travail cohérent, un vrai « boulot », une vraie recherche, quitte à se tromper, mais ils font une œuvre et sans doute quelques-uns resteront, le temps dira…

 

Tu présentes essentiellement de la peinture, à part Pierre Riba pour la sculpture, ou Bernard Langenstein pour la photographie par exemple ?

 

Oui, je suis plus peinture, même si la photo m’intéresse aussi.

 

Tu renouvelles ton équipe ?

 

Oui, j’essaie de trouver d’autres peintres, mais j’ai un problème de place. Je présente les artistes à la galerie tous les deux ans environ. Comme je fais des foires, ils sont présents assez souvent, et ils ont d’autres galeries. La galerie a un site très consulté où ils sont visibles aussi.

 

Quelles sont les foires auxquelles tu participes ?

 

Karlsruhe, Gand, Art Elysées, Lille. J’ai fait aussi St’Art, le Salon du dessin contemporain, Art Paris. Il est important pour moi de sortir au moins quatre fois dans l’année. J’ai besoin du contact avec le public en dehors de la galerie, pour ce défi magnifique de faire partager et faire acquérir si possible de la peinture, afin de continuer l’aventure.

 

Justement, nous n’en avons pas beaucoup parlé mais ça n’a pas été trop dur pour toi, habitué à voir du monde, à te retrouver dans la solitude de ta galerie ?

 

Non, non. Les foires ont remplacé les spectacles. La scène, c’est le stand, la mise en place, le petit trac, l’excitation, les rencontres. Ce sont les mêmes sentiments.

 

Quels sont tes projets ?

 

Si j’avais plus de temps, j’aurais aimé avoir un deuxième espace, présenter d’autres artistes. Grâce à internet, GNG est accessible à un grand nombre de personnes. Plus que je n’en verrai intra muros.

Alors, l’aventure continue.

 

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